Décision du comité de révision relative à la demande de révision de classement du film Noémie dit oui
Le 5 avril 2022, la Direction des services aux entreprises et du classement des films du ministère de la Culture et des Communications (MCC) attribuait le classement « 16 ans et plus » au film Noémie dit oui.
Se déclarant en désaccord avec ce classement, le distributeur K-Films Amérique demandait par écrit, le 6 avril 2022, la révision de cette décision. À cette fin, Mesdames Carole Paradis et Fasal Kanouté, respectivement présidente et membre du comité de révision ainsi que Monsieur Louis-Paul Willis, membre surnuméraire se sont réunis le 14 avril 2022. Madame Claudine Galipeau agissait à titre de greffière. Les membres du comité ont visionné le film et ont ensuite entendu les arguments de Mesdames Geneviève Albert, réalisatrice, Patricia Bergeron, productrice et Monsieur Louis Dussault, président de K-Films Amérique. Mesdames Marie-Pierre Bouchard et Peggy Larouche, examinatrices-classificatrices du MCC, qui ont procédé au classement du film en première instance ont également présenté au comité leurs arguments sur le classement du film Noémie dit oui. Monsieur Younes Beghdi, directeur des services aux entreprises et du classement des films, était également présent à titre d’observateur lors de la présentation des examinatrices-classificatrices.
Au début de la rencontre, Madame Geneviève Albert indique aux membres du comité qu’elle a effectué des recherches approfondies sur la prostitution des jeunes filles mineures et qu’elle a réalisé un film hyperréaliste qui se veut un outil pour éviter aux jeunes filles de tomber dans ce piège. Elle souhaite apporter un contrepoint aux images glamour qui valorisent et glorifient la prostitution, et qui sont diffusées sur différentes plateformes Internet. Elle affirme que son film s’adresse précisément à la tranche d’âge de 13 à 15 ans, car selon une étude qu’elle a consultée, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution juvénile est de 14 ans. Elle ajoute que Noémie dit oui se termine sur une note d’espoir et que le message ultime est qu’il est possible de « se choisir » et de se sortir de cet enfer.
De son côté, Madame Patricia Bergeron évoque que Noémie dit oui peut servir à rapprocher les jeunes et leurs parents, et ainsi ouvrir un dialogue nécessaire sur le sujet. Ce film contient une « violence difficile, mais nécessaire ». Il doit être vu par le plus grand nombre pour permettre une conscientisation sociale.
Monsieur Louis Dussault débute son argumentaire en mentionnant des éléments de mise en marché. Il soutient que Noémie dit oui est une oeuvre essentielle, ayant une portée universelle, qui cherche à préserver les adolescentes des conséquences de la prostitution. Il souligne que le personnage de Noémie constitue un modèle positif pour les jeunes filles, car elle va chercher l’aide nécessaire pour s’en sortir.
Mesdames Albert et Bergeron ainsi que Monsieur Dussault quittent la réunion.
Mesdames Bouchard et Larouche viennent ensuite expliquer aux membres du comité les principes sur lesquels se fonde le processus de classement. En s’appuyant principalement sur le consensus social et sur les étapes de développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent, le mandat du MCC est de classer un film dans la catégorie appropriée, en ayant soin, entre autres choses, d’assurer la protection de la jeunesse.
Les examinatrices-classificatrices précisent que le sujet d’un film ne peut à lui seul entraîner d’emblée un classement dans la catégorie « 16 ans et plus ». Le traitement et le ton des thèmes abordés comme leur fréquence, leur durée, leur intensité doivent être analysés pour évaluer les effets probables du film sur les spectateurs, selon leur âge.
Même si Noémie dit oui ne glorifie pas la prostitution et évite d’érotiser l’adolescente, il contient tout de même une accumulation de situations sexuelles étalées crûment et sans répit pendant le tiers du film. Une quinzaine de relations sexuelles apparaissent dans des situations où le consentement de Noémie est vicié, de même que trois viols. Il s’agit d’un catalogue détaillé de gestes, de positions et de pratiques sexuelles souvent sordides et perverses. En outre, le climat de violence physique et psychologique caractérise une bonne partie de l’oeuvre. Selon leur évaluation, la représentation crue de la sexualité dans ce qu’elle a de plus malsain pourrait déstabiliser les jeunes adolescents qui n’en sont pas à ce stade de leur développement sexuel, puisque l’âge moyen de la première relation sexuelle, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, est de 16 ans.
Les examinatrices-classificatrices ont déterminé que les jeunes de moins de 16 ans n’ont généralement pas la maturité nécessaire pour mettre en perspective ce genre d’images et qu’ils pourraient être déstabilisés par le visionnement. En outre, elles affirment que certaines scènes du film vont à l’encontre du consensus social, c’est-à-dire ce que la majorité des citoyens trouvent acceptable que les jeunes voient à un âge précis.
Les examinatrices-classificatrices et le directeur quittent la rencontre.
Après avoir révisé les étapes du développement de la maturité chez les pré-adolescents, et les adolescents, les membres du comité entament la délibération. Ils notent que la majorité des activités sexuelles sont suggérées et se déroulent dans le hors-champ : c’est l’imaginaire du spectateur qui reconstitue l’essentiel des actes de prostitution et la violence qui lui est inhérente. Ils reconnaissent également que Noémie dit oui pourrait faire oeuvre utile auprès d’une clientèle vulnérable qui risque de faire de mauvais choix et que ce film pourrait prévenir les jeunes filles de moins de 16 ans des conséquences de la prostitution. Toutefois, les intentions pédagogiques louables de l’oeuvre ne sauraient diminuer l’impact des images sur la majorité des adolescentes et des adolescents, car la diffusion de Noémie dit oui dépassera largement les cadres éducatifs. La mission du ministère est de classer un film pour l’ensemble de la population et pas seulement pour une clientèle à risque.
Les membres du comité de révision du classement des films concluent que la majorité des jeunes spectateurs de 13 à 15 ans n’ont pas encore acquis les outils nécessaires pour absorber la surenchère d’images troublantes et assimiler le traitement cru proposé dans le film Noémie dit oui, et que cela pourrait ébranler leur développement.
En conséquence, les membres du comité décident à la majorité :
DE REJETER la demande de révision de K-Films Amérique;
DE MAINTENIR le classement dans la catégorie « 16 ans et plus » attribué au film Noémie dit oui.
Montréal, ce 14 avril 2022
Carole Paradis, présidente
Fasal Kanouté, membre
Louis-Paul Willis, membre surnuméraire